Présidence de Singapour : Perspectives pour l’ASEAN en 2018

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Écrit par : Dr. Robin Michael Garcia & Enkhzul Orgodol

Traduit par : Vincent Bonhaume

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Les Philippines avaient présidé l’ASEAN à quatre reprises depuis sa création, 2017 étant sa dernière itération, alors que Singapour avait présidé trois fois avant cette année. La présidence de l’ASEAN fonctionne sur une base tournante. Avec la quatrième année de présidence de l’ASEAN à Singapour, qu’est-ce qui attend le block régional avec de grandes réalisations et des aspirations encore plus importantes ?

Tout d’abord, la question fondamentale qui doit être posée est la suivante : qu’en est-il du poste de président d’un block régional qui prend toutes les décisions en consultation et de façon consensuelle entre les autres et qui valorise avant tout la non-ingérence ? Les structures hiérarchiques et les mécanismes punitifs légalistes similaires à l’Union européenne (UE) existent à peine, du moins formellement. En d’autres termes, quel est le rôle de la présidence de l’ASEAN à part d’être un organisateur d’événements glorifié ?

La présidence de l’ASEAN n’est en réalité pas un poste accompagné que de petits pouvoirs. Premièrement, le président doit être le porte-parole du groupe. Si nous avions appris quelque chose en théorie et en pratique de la politique internationale, les mots et les idées ont un pouvoir énorme dans les résultats sociopolitiques. Deuxièmement, le président se doit d’ajouter de nouveaux éléments de travail qui pourraient bénéficier au groupe à l’ordre du jour. Enfin, il doit servir de facilitateur du consensus, ce qui confère généralement au président un rôle important dans l’établissement de l’agenda. Ce dernier point exige que le président dépose son propre intérêt national de côté et se concentre sur la région. En tant que tel, il doit assurer une réponse efficace aux problèmes les plus urgents de l’ASEAN et préserver l’idée de centralité du groupe dans l’architecture régionale. Il semble que pour cette année, la centralité de l’ASEAN soit la question la plus urgente : la Chine a eu une influence importante sur l’issue de la débâcle de la mer de Chine méridionale, et en particulier vers la création d’un Code de conduit。

Sous la présidence des Philippines, le Partenariat économique régional global (RCEP) dirigé par l’ASEAN n’a pas réalisé de progrès substantiels tandis que le Partenariat Trans-Transpacifique (maintenant CPTPP) a outrepassé le retrait des Etats-Unis de Mr. Trump pour que le document soit signé le mois prochain. La présidence des Philippines avait promis la “conclusion substantielle” du RCEP en 2017 comme l’une de ses priorités. Mis à part la Communauté économique de l’ASEAN (AEC), le RCEP est un autre accord commercial mais différent car il implique des partenaires extérieurs. En raison de ce profil, le RCEP pourrait donc aider à réaffirmer la centralité de l’ASEAN en dépit du fait que la Chine puisse rivaliser avec le CPTPP. Alors que des pourparlers ont été entamés au sujet du Code de conduite en mer de Chine méridionale, l’ASEAN n’a pas plus agit sur le traitement des îles disputées. En plus de cela, la question de la persécution du peuple Rohingya au Myanmar a été presque ignorée.

Ces résultats ont du sens en ce qui concerne les Philippines sous l’administration Duterte. Ignorer la question des Rohingyas du Myanmar est conforme à son profil de paria des droits de l’homme. Les réalisations presque négligeables dans la résolution de principe des différends sur la mer de Chine méridionale reflètent la position généralement favorable à la Chine de Duterte. Plus important encore, ce que l’on peut décrire comme les « relations économiques extérieures non cosmopolites » de Duterte l’a empêché de mener la conclusion du RCEP : un accord de méga-commerce impliquant plusieurs autres États.

La présidence largement non inspirée des Philippines par l’ASEAN laisse beaucoup de place à Singapour pour faire ses preuves. Au cours des 50 années d’existence de l’ASEAN, Singapour est devenue un médiateur régional et un phare du développement économique capitaliste pour l’ASEAN et au-delà. Historiquement, Singapour a généralement été neutre au regard de la concurrence sino-américaine dans la région. Alors que Singapour est le premier investisseur étranger en Chine et que la Chine reste le plus grand partenaire commercial de Singapour, elle a affirmé la position des États-Unis sur la mer de Chine méridionale : les différends doivent être réglés dans le cadre des normes juridiques internationals.

En tant que tel, un argument en faveur d’une perspective optimiste pour l’ASEAN en 2018 n’est pas infondé.

Singapour a plus de marge de manœuvre pour progresser dans la création d’un code de conduite dans les différends relatifs à la mer de Chine méridionale pour deux raisons : il ne s’agit pas d’un des États impliqués dans le conflit et il a constamment soutenu un ordre fondé sur des règles dans la région. Alors que Kishore Mahbubani, le diplomate devenu intellectuel, avait été critiqué à la fin de l’année dernière pour avoir argué que le pays devait agir comme un “petit Etat” et faire attention à ne pas irriter la Chine, ce que certains politiciens et diplomates de haut rang n’avaient pas appréciés. Cela indique que la position de Singapour en matière de politique étrangère est bien alignée sur une résolution purement juridique.

Plus important encore, la Communauté économique de l’ASEAN (AEC) devrait augmenter le PIB de Singapour à lui seul de 9,5%, selon HSBC. Il a donc intérêt à ce que plusieurs objectifs à court terme soient atteints pour l’AEC. Peut-être cette perspective économique pourrait-elle se concrétiser à la conclusion du RCEP : le billet de l’ASEAN pour monter à bord de l’un des plus grands, sinon le plus grand, train commercial du monde. Une fois signé, ce qui se produira probablement en 2018 après six années de négociations, le RCEP représentera près d’un tiers de la population mondiale et près de la moitié du PIB mondial. Précisément, le RCEP est un accord de libre-échange avec tous les dix États de l’ASEAN et ses six partenaires ALE – la Chine, l’Inde, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon et la Corée du Sud.

Si Singapour conclut le RCEP sous son contrôle, il compensera son non-alignement avec la Chine sur le front de la sécurité. Le RCEP est un accord commercial qui profiterait à la Chine parce qu’il n’est pas inclus dans l’accord méga-commercial concurrent : l’accord global et progressif pour le partenariat transpacifique (CPTPP) qui sera conclu le mois prochain au Chili. Si telle était l’intention de Singapour, les relations entre la Chine et l’ASEAN auraient été gérées avec sagesse. M. Chan Chun Sing, ministre de Singapour au cabinet du Premier ministre, a exprimé ses aspirations à établir « des normes élevées pour inciter le système économique mondial à atteindre ce niveau d’un système commercial ouvert où tout le monde peut en profiter » en travaillant étroitement avec Pékin, les autres États de l’ASEAN ainsi qu’avec ses partenaires externs.

Les récentes remarques du Premier ministre Lee expriment sans équivoque cet équilibre entre sécurité et commerce : « Pour que l’ASEAN reste une force centrale capable de relever les défis et les opportunités, la Présidence de Singapour se concentre sur les thèmes de la résilience et de l’innovation. Afin de promouvoir et de maintenir un ordre régional fondé sur des règles afin que nous puissions mieux faire face aux défis de sécurité émergents tels que la cybersécurité, la criminalité transnationale et le terrorisme. Grâce à l’innovation, nous pouvons poursuivre l’intégration économique régionale et améliorer la connectivité régionale afin que l’ASEAN puisse rester compétitive, prospère et pour que nous puissions travailler sur de nouvelles façons de gérer et d’exploiter les technologies numériques et d’équiper nos citoyens de compétences et de capacités importantes. »

Sous la présidence de Singapour, les relations économiques et commerciales dans la région et dans l’ensemble de la région Asie-Pacifique devraient être prioritaires tout en traitant les problèmes de sécurité. Peut-être, Singapour est ce dont nous avons besoin en ces temps troublés pour l’ASEAN.

Dr. Robin Michael Garcia est fondateur et directeur général de Warwick & Roger, une société de conseil en gestion des risques politiques avec des bureaux à Yangon, Brisbane, Oulan-Bator et Manille. Il est titulaire d’un doctorat en politique internationale de l’École des relations internationales ainsi que du département des affaires publiques (SIRPA) de l’Université Fudan de Shanghai.

Enkhzul Orgodol est fondateur et président de Doing Business in Asia Alliance (DBiAA), et associé directeur de Warwick & Roger à Oulan-Bator. Elle est titulaire d’une maîtrise en politique publique de l’École de politique publique Lee Kuan Yew (LKYSPP) de l’Université nationale de Singapour.

Cet article a été initialement publié le 11 février 2018 par Doing Business in Asia Alliance.

 

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